n°47 : Michel Foucault. Héritages et perspectives en éducation et formation

Le Télémaque n°47 (2015/1)

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Si Michel Foucault n’a pas directement écrit sur l’éducation, certains de ses ouvrages ont profondément influencé et accompagné la réflexion, que ce soit Surveiller et punir (1975) ou Le courage de la vérité (2009), pour fournir aujourd’hui aux chercheurs de très puissants instruments critiques. Le dossier se propose de faire un bilan de ces différents héritages et de voir comment ils fécondent aujourd’hui les recherches en éducation, dans la compréhension de ce qui se joue dans les pratiques scolaires, les relations de pouvoir et les techniques de persuasion, la construction du sujet et la formation morale : est-il possible, à partir de Foucault, de penser une autre école ? Telle est aussi la question posée.

Ouverture, par Brigitte Frelat-Kahn (Université de Picardie), Dominique Ottavi (Université Paris 10) et Alain Vergnioux (Université de Caen)

 

Chronique morale : La philosophie de François Châtelet, par Alain Vergnioux (Université de Caen)

François Châtelet (1925-1985) ne cessa jamais d’enseigner, en lycée, en classe préparatoire, à l’université et il a toujours affirmé que l’exercice de la philosophie était indissociable de son enseignement. A partir de livres, préfaces, articles ou interviews, l’article se propose de restituer la critique radicale menée par Châtelet contre les pratiques institutionnelles de cet enseignement, au lycée comme à l’université, la réduction de la philosophie à son histoire et à son commentaire. Il examine ensuite à quelles conditions de nouvelles pratiques de la philosophie devraient être envisagée – dans le cadre plus large d’une redéfinition de la culture tout entière.

Notion : L’interculturalité, par Valentina Crispi

Les flux migratoires consécutifs à la décolonisation, aux impératifs économiques et à la mondialisation généralisée des phénomènes sociaux transforment en profondeur les sociétés modernes sur les plans démographique et culturel. Les problèmes soulevés par la rencontre, la coexistence, les échanges ou les affrontements entre cultures deviennent primordiaux ; la difficulté est de les penser dans la multiplicité complexe de leurs différents registres et processus. L’article présente et analyse en quoi les concepts et les problématiques (altérité, différence, déconstruction des identités, multiplicité) forgées dans les dernières décennies par la philosophie, française en particulier (Deleuze, Derrida, Ricoeur, Lévinas), peuvent contribuer à cet effort de clarification et de compréhension.

Dossier : Michel Foucault : héritages et perspectives en éducation et formation

Présentation, par Hubert Vincent (Université de Rouen)

Un autre regard sur les disciplines scolaires, par François Jacquet-Francillon (Université de Lille 3)

Dans L’ordre du discours, Foucault distingue trois types de « limitations » internes des discours : la technique du commentaire, l’appui sur les auteurs, et, opposée aux deux précédents, la formation des disciplines savantes. Or cette opposition éclaire aussi l’histoire de la culture scolaire qui, depuis deux ou trois siècles, et pas avant, se structure comme un ensemble de disciplines qui, elles-mêmes, intègrent des normes de légitimité des objets de science (normes de l’expérience), et des normes de vérité des énoncés scientifiques (normes de la preuve).

De la « pédagogisation » des soins des malades chroniques aux dispositifs d’éducation thérapeutique, par Nicolas Guirimand (Université de Rouen)

L’augmentation constante du nombre de malades chroniques depuis plus d’un demi- siècle, a incité les médecins à repenser leur pratique. En s’appuyant sur certaines théories de la psychologie et de la philosophie de l’éducation, la médecine moderne a fait peau neuve en intégrant en son sein de nouveaux dispositifs éducatifs. Les travaux de Michel Foucault permettent de penser les conditions nécessaires d’apparition de ces dispositifs et leurs effets sur la relation soignant-soigné et plus largement sur les institutions médicales. Ces institutions n’ont plus seulement pour fonctions de soigner, de produire des connaissances médicales et de les transmettre aux futurs médecins, mais se voient également confier une nouvelle responsabilité, celle d’éduquer les malades. Alors que certaines approches éducatives tentent de favoriser l’émancipation du patient, d’autres dérivent en institutionnalisant la normalisation du sujet.

Foucault éducateur : un art de l’écriture et un modèle d’auto-formation, par Hubert Vincent (Université de Rouen)

Le souci de rendre hommage à Michel Foucault, tant à sa personne qu’à son œuvre, peut prendre plusieurs voies. Ici, j’en ai retenu deux. La première voie concerne le style même de Foucault, et plus précisément son style d’exposition. Foucault me semble avoir une écriture ou un style d’exposition très généreux, surtout dans ses cours au Collège de France. J’ai voulu ressaisir cette générosité et ses traits constitutifs. La seconde concerne plus un problème ou une notion, en l’occurrence celle d’auto formation ou de pratique d’autoformation. Les analyses que Foucault consacra à certaines techniques de lecture et d’écriture héritées de la philosophie hellénistique, me semblent ainsi pouvoir y jeter une lumière originale.

La production des hétérotopies à l’école : souci de soi et objectivation, par Silvio Gallo (Université d’État de Campinas, Brésil)

On trouve chez Foucault (Surveiller et punir) une critique très importante de l’école comme institution disciplinaire. Je voudrais poser la question : serait-il possible de penser autrement l’école, avec Foucault ? Je partirai du concept d’hétérotopie pour interroger les possibilités de produire, dans l’école, des espaces autres d’apprentissage – soit l’apprentissage de la connaissance, de la vie ou de soi-même. Je travaillerai avec les derniers cours de Foucault au Collège de France (ceux des années 1980 à 1984), pour trouver des pistes qui nous permettraient de penser autrement l’éducation et l’école.

La question de l’écoute chez Michel Foucault, par Annie Hourcade (Université de Rouen)

Michel Foucault aborde la question de l’écoute dans ses Cours au Collège de France, notamment dans L’Herméneutique du sujet et dans Le Gouvernement de soi et des autres, s’appuyant essentiellement sur des textes antiques. Ce questionnement occupe une place déterminante dans les développements que Foucault met en œuvre sur l’activité de parrhêsia et plus largement de conseil. L’écoute y apparaît comme la contrepartie du discours philosophique mais aussi comme sa condition de possibilité. Les deux aspects de l’écoute – dans sa dimension de passivité mais aussi dans l’attitude active dont elle témoigne chez l’auditeur – invitent à s’interroger, avec Foucault, sur la limite ténue entre une philosophie dont la vocation est de soigner les âmes dans une visée essentiellement de conseil éducatif et une philosophie dont le but est avant tout de faire des philosophes.

Foucault lecteur de Plutarque : de la notion de savoir éthopoîétique à la construction d’une esthétique de l’existence, par Edouardo Machado

Nous essayerons de montrer dans cet article la « fonction auteur » que Plutarque occupe dans l’œuvre de Foucault tout en mettant en relief sa dimension éducative. L’étude montre un usage important de l’œuvre de Plutarque comme outil conceptuel et met en lumière deux figures (le biographe et le philosophe-thérapeute). Ces deux figures représentent deux aspects essentiels de la pensée éducative de Foucault : le refus de l’imitation des modèles du passé, incarné par le paradigme humaniste des biographies des hommes illustres, et la promotion d’une pédagogie des pratiques sur soi. De cette réflexion ressort la problématisation éducative du lien et du chemin construit par Foucault allant de la notion plutarchéenne d’un savoir « éthopoétique » à la possibilité de la construction d’une certaine idée esthétisante de l’homme.

Étude : L’expression de croyances dans les manuels d’histoire pour l’école publique : le cas de la Pologne avant et après 1989, par Sébastien Urbanski (Université de Lyon 2)

L’article propose une distinction entre « croyances collectives » et « croyances personnelles » permettant de prolonger certaines réflexions de Durkheim en philosophie et sociologie de l’éducation. Cette distinction est appliquée au cas des manuels d’histoire polonais pour l’école publique. Jusqu’en 1989, leurs auteurs exprimaient des croyances collectives (l’idéologie marxiste d’État) ; aujourd’hui, ils disposent d’une forte « liberté négative » amenant nombre d’entre eux à exprimer des croyances personnelles – en particulier religieuses – qui sont particulièrement perceptibles dans les manuels d’histoire.