n°46 : Famille(s)

Le Télémaque n°46 (2014/2)

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Qu’est-ce que la famille ? L’unité de base de toute société, qui permet sa reproduction. Elle donne un statut et une reconnaissance ainsi qu’un rôle social à ses membres. Elle est avant tout le lieu de « fabrication » des enfants. Autant de dimensions qui évoluent en accord avec les transformations de la société. Lieu de procréation mais aussi d’accueil des enfants sous toutes ses formes traditionnelles et contemporaines (par l’adoption, une recomposition familiale, une procréation médicalement assistée…) et lieu d’éducation, et finalement lieu de vie des enfants pour une socialisation primaire. En ce sens, elle est un observatoire privilégié des relations entre adultes et enfants et de leur évolution.

Ouverture, par Sylvie Cadolle (Université Paris 5)

Chronique morale : Article « Famille » dans le Dictionnaire de Pédagogie et d’instruction primaire, par Ferdinand Buisson

Dans l’édition de 1911 du Dictionnaire de Pédagogie et d’Instruction primaire de Ferdinand Buisson, l’article consacré à la « Famille » reprend pour l’essentiel celui rédigé dans l’édition de 1887 par Félix Pécaut. Après avoir rappelé que la véritable éducation est celle prodiguée par la famille dont elle est le lieu et le fondement naturel, il développe trois points : la complémentarité de l’école et de la famille en matière d’éducation ; le rôle irremplaçable de l’instituteur ; le problème posé par la suppression de l’instruction religieuse à l’école – pour définir ce qu’il appelle « la théorie vraie des rapports entre la vie scolaire et la vie domestique ». Il insiste particulièrement sur le fait que l’instituteur a besoin du concours de la famille et de sa confiance pour accomplir pleinement sa tâche – et cela constituait très certainement, à la fin des années 1880, une difficulté majeure rencontrée par l’école publique. Aussi l’édition de 1911 expose les progrès qui ont été faits dans ce sens.

Notion : Jeunesse(s), par Nathalie Dupont (Université de Caen)

Définir la jeunesse renvoie actuellement à des définitions ambivalentes et des marqueurs de plus en plus complexes. Doit-on parler d’une ou des jeunesses, de leur dimension biologique ou culturelle ? Doit-on l’appréhender comme groupe générationnel, groupe social, groupe ethnique ou groupe genré ? La ou les jeunesse(s) correspond(ent) à une organisation sociale de la vie qui renouvelle le passage de l’enfance à l’âge adulte. Réfléchir sur les jeunesses, c’est donc poser des questions sociales, culturelles et psychologiques de construction, dissolution et transformation des identités juvéniles, mais aussi des questions politiques d’histoires de vie entre dépendance, autonomie ou indépendance ; c’est identifier des marqueurs culturels de la « jeunesse » et les rôles d’une ou plusieurs « générations » dans ce passage entre enfance et âge adulte ; c’est encore tenter de comprendre des rituels et des choix de trajectoires.

Dossier : Famille(s)

Présentation, par Julie Delalande (Université de Caen) et Léandro de Lajonquière (Université de Caen)

Le roman familial contemporain et l’enfant-symptôme : de qui sont les enfants d’aujourd’hui ?, par Léandro de Lajonquière (Université de Caen) et Marcelo Ricardo Pereira (Brésil)

Les « nouvelles » familles rencontrent un grand succès et leurs désignations ne cessent d’augmenter : monoparentale, homoparentale, etc. En contribution à ce débat, cet article présente quatre modalités de configuration familiale de peuples non-occidentaux leurs arrangements des filations symboliques pour aznalyser à contrejour nos propres  » romans familaiux », nos propores phantasmes de « famille » pour répondre à la question : les fils d’aujourd’hui sont à qui ? où « l’aujourd’hui  » n’est pas simplement un marquage temporel mais surtout une catégorie d’analyse qui vise la transformation de notre notion traditionnelle de la configuration familiale et le déclin de l »image sociale du pater familias. Cependant, recomosée ou remaniée, nous voulons toujours, aujourd’hui, « de la famille ». Pourquoi , Peut-être parce que nous n’avons pas encore su inventer une autre institution garante de l’irréductibilité de la transmission psychique. Les auteurs présentent alors pour conclure trois conséquences liées aux incertitudes de la filiation : le désir généralisé de « famille », les enjeux pour les enfants des familles recomposées et l’émergence d’un phénomène proprement actuel : l’enfant-symptôme.

La « démocratisation » des relations familiales, un processus pluriel difficile à réguler, par Gérard Neyrand (Université de Toulouse 3)

Le processus de « démocratisation » de la famille qui se met en place à la fin des années 1960 ne va pas de soi. S’appuyant sur un ensemble de valeurs portées dès le XVIIIe siècle par les philosophes des Lumières et sur de multiples évolutions sociales de niveaux et de temporalités différentes, il mettra près de deux siècles à progressivement s’affirmer, rencontrant de nombreuses résistances à tous niveaux, au nom d’une conception naturaliste de la famille et de la société. Mais le basculement qui s’effectue dans les années 1970 semble irréversible, malgré la violence des débats sociaux qu’il a pu provoquer. Aujourd’hui, la désinstitutionalisation des relations conjugales, et plus globalement des rapports entre adultes, sous l’égide du principe de consentement réciproque, correspond à un renforcement des liens parentaux, que traduit la constitution d’un véritable dispositif social de parentalité au tournant du XXIe siècle. Se manifestent alors les contradictions et les incohérences de cette démocratisation familiale, que la gestion sociale parentaliste a bien du mal à encadrer, et dont l’article essaie de mettre en évidence les apories et paradoxes.

La famille au risque de la souffrance psychique et de la déscolarisation, par Cristina Figueiredo (Université Paris 5)

L’auteure se penche sur les cas de « retrait » scolaire et social en France, et ses conséquences sur les configurations familiales des jeunes qui sont souvent diagnostiqués phobiques (scolaires, sociales) ou en dépression. Lorsque arrivé devant la porte de l’école ou du collège, un enfant est pris de maux de ventre ou de migraines l’obligeant à faire demi-tour, la famille est amenée à se mobiliser pour comprendre les symptômes somatiques et les justifier auprès de l’institution et de l’entourage. Plusieurs questions émergent alors : l’école est-elle responsable ? Quelle part de responsabilité a la famille ? Que se passe-t-il lorsque les enfants sont temporairement déscolarisés ? Comment ce retrait du monde « ordinaire » est-il perçu et vécu au sein de la famille ? Comment les familles sont-elles alors amenées à réorganiser l’ensemble de leur fonctionnement autour de cette situation ? Il sera ainsi question de problématiser les conditions « normales » de fonctionnement familial et le modèle de l’enfant-élève dans son rapport à la socialisation et aux apprentissages.

Les relations entre les enfants et les adultes au sein des familles médiévales, par Didier Lett (Université Paris 7)

Au Moyen Âge déjà, la famille est majoritairement une petite unité, réunissant le plus souvent sous un même toit, un couple et des enfants. Il arrive cependant, qu’en fonction des aléas démographiques, cette structure familiale fasse preuve d’élasticité, s’ouvre à d’autres membres adultes ou à des orphelins. Les enfants sont aimés et éduqués avec soin par leur père et par leur mère et parfois par d’autres adultes au sein de la famille (nourrice, grand frère ou grande sœur, etc.) ou à l’extérieur de celle-ci. Il arrive aussi parfois que les relations parents-enfants soient conflictuelles à divers moments du « roman familial ».

La présence contemporaine du sujet masculin sur la scène périnatale : une dynamique relationnelle/familiale modifiée, par Marie-Laure Abecassis (Université Paris 13) et Eric Bidaud (Université Paris 13)

Jusqu’à une période récente, les positions paternelle et maternelle étaient nettement distinguées. Or, il apparaît que c’est l’enfant, en tant qu’objet de désir, qui redéfinit actuellement les contours d’une configuration familiale devenue protéiforme. Si durant des millénaires, les hommes se sont tenus à l’écart de la scène périnatale, ils sont de plus en plus amenés à investir cette sphère au même titre que leur compagne, notamment dès l’instant où s’est installée avec l’échographie l’illusion « imagée » d’être en présence du fœtus dans le corps maternel. En prenant appui sur la clinique, il s’agit d’examiner les effets au niveau psychique de ces transformations au dans la dynamique relationnelle de la triade père-mère-enfant.

De l’homme sans domicile au père sans logement personnel : tensions de genre dans l’intervention sociale, par Séverine Mayol (Université Paris 5)

A partir d’entretiens réalisés auprès de professionnels et de bénéficiaire des dispositifs d’hébergement d’urgence, l’auteure se propose de réfléchir aux représentations et à la place de la paternité des hommes sans domicile. Pourquoi la paternité des hommes sans domicile n’est-elle pas aussi présente dans les dispositifs que la maternité ? La paternité est-elle invisible ou occultée ? Comment expliquer cette absence de prise en compte ? Cette réflexion permet de saisir une partie des changements sociaux relatifs aux rôles et aux rapports sociaux de sexe dans la société des inclus. En effet, les tensions qui naissent entre les visions du monde des hommes hébergés et la réalité des dispositifs et des discours des travailleurs sociaux reflètent les tensions, négociations et résistances, entre normes contemporaines de genre et normes traditionnelles de genre.

L’espace domestique quotidien des familles populaires : l’enfant vu comme acteur du groupe familial, par Bernadette Tillard (Université de Lille 1)

Comme le souligne Esther Godoy, parmi les responsabilités qui incombent aux parents, ceux-ci remplissent quotidiennement auprès de leurs enfants des tâches d’alimentation, d’apprentissage et d’entretien de la vie qui participent à leur éducation. Les logements précaires et les faibles revenus des familles de milieux populaires ont une influence sur la manière d’organiser la vie familiale. L’enfant y est sollicité pour participer à la vie domestique, tant dans l’entretien du logement que dans la garde des plus jeunes. Nous relevons dans nos différents terrains auprès de familles populaires du Nord de la France quelques particularités de l’éducation des enfants et leurs répercussions sur le statut de l’enfant dans sa famille.

Libertés et pouvoirs : le rôle de l’égalité dans la famille, par Gabriella Radica

Comment défendre la liberté dans les familles ? Cet objectif libéral est d’autant plus délicat à atteindre, qu’il inclut à la fois la protection de chaque famille contre les pressions externes, et la liberté de chacun de ses membres. Or la seconde partie de l’objectif suppose une lutte contre les inégalités au sein des familles (entre époux, entre parents et enfants), donc une action politique, légale ou encore judiciaire qui peut se retourner contre la liberté qu’elle est censée défendre. Si Locke et Kant veulent favoriser la liberté des membres de la famille par l’égalité juridique, des féministes ont montré que cette égalité formelle se retourne contre la liberté des femmes ; c’est pourquoi les philosophes libérales et féministes Susan Moller Okin et Martha Nussbaum cherchent des réponses globales et politiques pour rendre effective cette égale liberté des membres de la famille.

Étude : Valuation et évaluation dans la pensée de Dewey, par Eirick Prairat (Université de Lorraine)

À partir de l’introduction de la notion de valuation par Dewey, l’auteur propose une réflexion critique sur la question des valeurs en éducation. Le texte est divisé en quatre parties. La première présente la conception défendue par Dewey et indique les deux grandes perspectives qu’il récuse (l’émotivisme et le réalisme classique). La seconde est consacrée à décrire le processus de valuation, en restant au plus près de la pensée de Dewey pour en restituer le mouvement et les arguments. Dans la troisième partie intitulée « Retour sur la “loi de Hume” », il s’agit de saisir l’originalité de la pensée deweyienne d’une autre manière, en montrant notamment ce qui l’oppose à ses contemporains. Enfin, la quatrième et dernière partie a un caractère plus prospectif, elle tente de tirer quelques leçons ou comment comprendre les faits éducatifs après Dewey.

Étude : La jeunesse controversée de Makarenko : un espace propice à l’émergence du mythe ?, par Jean Rakovitch

Depuis les années 1950, la figure d’Anton S. Makarenko est le jouet d’une instrumentalisation aussi bien politique qu’idéologique. De toutes les périodes de la vie du pédagogue soviétique, c’est sa jeunesse – de loin la moins connue – qui cristallise les fantasmes, offrant un lieu privilégié à l’élaboration d’un « mythe Makarenko ». Mythe singulier mais qui se décline au pluriel ? Les sources, inédites en français, que mobilise et confronte cette recherche – des monographies officielles et hagiographiques, proposées par la littérature soviétique, aux mémoires résolument acerbes du frère du pédagogue, publiés par des universitaires de Marbourg – dressent deux portraits pour le moins antithétiques du jeune Makarenko. Aussi lequel de ces deux portraits est-il le plus crédible ? À travers cette question, ce que le présent article se propose d’interroger, c’est, de façon plus large, la possibilité même d’établir une biographie d’Anton S. Makarenko.