n°34 : Réformer l’enseignement : perspectives historiques

Le Télémaque n°34 (2008/2)

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Le propos de ce numéro est de s’intéresser à un aspect bien particulier de l’histoire de l’éducation : le moment des réformes. Un des caractères constitutifs d’une réforme, en effet, est l’existence d’un débat collectif autour d’un projet. Toute réforme suppose des réformateurs et des adversaires, des partisans et des détracteurs. Hautement significatifs, donc, les moments de réforme sont des moments de vérité. Les articles présentés concernent le chantier de réformes amorcées de la Libération jusqu’à la fin des années 1970. Elles continuent de structurer aujourd’hui le cadre du débat dont l’école fait, semble-t-il interminablement, l’objet. Ainsi de la rénovation de l’enseignement du français (1963 à 1972), de l’ouverture de l’école aux cultures locales après 1945, entre tolérance républicaine et innovations pédagogiques, de l’introduction du tiers-temps pédagogique et des disciplines d’éveil à l’école primaire dans les années 1970, de l’institutionnalisation de l’EPS comme discipline scolaire (1952-1959), des transformations de la formulation d’un problème récurrent : celui de l’échec scolaire.

Ouverture, par Louis Raillon

Notion : L’orientation scolaire, par Biljana Stevanovic (Université de Caen)

Conseiller les jeunes, leur choisir les études et une formation professionnelle sont les objectifs de l’orientation scolaire. L’orientation différenciée désigne les inégalités selon le sexe des élèves. Les filles se dirigent vers les filières littéraires et tertiaires et les garçons vers les filières scientifiques et techniques industrielles. Les filles et les garçons n’accèdent pas aux mêmes savoirs ni aux mêmes débouchés professionnels. Les orientations différenciées conduisent les filles vers des positions professionnelles moins rentables sur le marché du travail. L’auto-sélection, les représentations des métiers, le sentiment de compétence, les stéréotypes, l’articulation entre la vie professionnelle et la vie familiale, sont mis en cause pour expliquer ces orientations différenciées.

Dossier : Réformer l’enseignement : perspectives historiques

Introduction, par Pierre Kahn (IUFM de Basse-Normandie)

Quelle réforme pour quelle démocratisation ? La question de l’école primaire dans la transformation du système éducatif, 1945-1970, par Catherine Dorison (IUFM de Cergy-Pontoise)

Quand démocratiser signifie permettre l’accès au secondaire « des meilleurs » quelle que soit leur origine, la question fondamentale est « quels sont les facteurs qui font obstacle à une scolarité secondaire de bons élèves ? », et la question des échecs à l’école élémentaire ne se pose pas. Aussi les enquêtes qui, dans les années cinquante, portent sur les « retardés scolaires » à l’école élémentaire se réfèrent-elles à une autre conception de la démocratisation. L’article analyse le lien entre les conceptions de la démocratisation du système scolaire et la formulation du problème de l’échec à l’école primaire. Il étudie les évolutions qui se produisent dans les années soixante et permettent de comprendre l’importance accordée par le ministère de l’éducation nationale, à la fin de la décennie, au problème des redoublements et des échecs à l’école primaire.

La pédagogie primaire entre 1945 et 1970 : l’impossible réforme ?, par Pierre Kahn (IUFM de Basse-Normandie)

La réforme de l’éveil, dans les années 1970, rompt avec la monotonie apparente d’Instructions officielles qui, depuis Jules Ferry, inscrivent la pédagogie de l’école primaire dans la tradition spécifique d’un enseignement concret destiné pour la plupart des élèves à se terminer à la fin de la scolarité obligatoire. Cette permanence remarquable est paradoxale si l’on songe que dès 1945, avec les classes nouvelles, le secondaire fut quant à lui l’objet d’une tentative de réforme dans le sens des méthodes actives et de l’éducation nouvelle. Elle cache peut-être aussi une réalité plus complexe : les rénovateurs sont actifs au sein notamment de l’IPN et dès le début des années 1960 se repèrent, dans le contexte de l’ouverture « démocratique » des sixièmes à l’ensemble des écoliers, les premiers ébranlements du traditionalisme pédagogique défendu par l’administration du premier degré depuis la Libération.

Une réforme complexe et polémique : la rénovation du français à l’école élémentaire de 1963 à 1972, par Marie-France Bishop (IUFM de Lille)

La rénovation de l’enseignement du français qui est institutionnalisée par les Instructions officielles de décembre 1972 est marquée par la complexité de son parcours et par la violence des débats qu’elle déclanche. Tout au long de cet épisode, deux conceptions de l’enseignement du français s’affrontent. L’une, cherchant à assurer par la mémorisation les connaissances de base, se rattache au principe d’un renforcement de l’enseignement du français pour faciliter l’entrée en sixième. L’autre, voulant motiver l’apprentissage par l’expression et la communication est davantage tournée vers des activités créatrices et suppose une réduction des programmes. A travers ces deux positions, ce sont deux conceptions de la démocratisation scolaire qui s’affrontent.

Un consensus factice : la réforme générale de l’enseignement de l’après-guerre et l’ouverture de l’école sur le milieu local, par Youenn Michel (Université de Caen)

La réforme générale de l’après-guerre ambitionne de développer les méthodes actives, et notamment l’étude du milieu, grâce à la généralisation d’une nouvelle séquence dans les emplois du temps : les activités dirigées. Cependant, derrière cette consécration officielle, les sources professionnelles et administratives suggèrent une résistance des pratiques traditionnelles et des modèles anciens de rapport au milieu local.

La table Letessier au service de l’intégration progressive du sport dans l’éducation physique scolaire (1952-1959), par Yohann Fortune (Université de Caen)

La « table de cotation des performances sportives Jean Letessier » est un instrument qui a profondément marqué l’histoire des pratiques docimologiques en éducation physique et sportive. Parue pour la première fois en 1957, elle devient très rapidement l’instrument indispensable pour une majeure partie des épreuves d’éducation physique aux examens scolaires et civils, participant ainsi à l’intégration progressive du sport, et plus particulièrement de l’athlétisme, dans l’école des années 1950-60. La table a ainsi permis un subtil compromis entre une volonté de moderniser leurs contenus d’enseignement et la nécessité de répondre aux caractères de sérieux et de rigueur, indispensables à toute matière d’enseignement conforme aux normes scolaires. C’est parce qu’elle réussit cette alliance que la table Letessier peut apparaître à la fois comme un témoin privilégié, mais également comme un opérateur de la scolarisation progressive de l’Education physique et sportive des années 1950.

Victor Host : penseur de l’éveil et promoteur de la didactique des Sciences, par Jean-Pierre Astolfi (Université de Rouen)

Cet article, en forme d’hommage, vise premièrement à rappeler le rôle de Victor Host, dans les années 1970, dans la conception et la promotion de la pédagogie d’éveil ; deuxièmement à indiquer à travers l’évocation de cet acteur important les liens qui existaient à l’époque entre d’une part l’Institut pédagogique national, d’autre part le mouvement de réforme de l’enseignement et enfin la naissance de la didactique des disciplines. Il est suivi d’un texte de V. Host paru en 1995 dans la revue Perspectives sous le titre « Finalités de l’enseignement scientifique face aux années 2000 ».

Henri I. Marrou, entre traditions et réformes pédagogiques, par Hervé Terral (Université Toulouse-le Mirail)

La réflexion sur l’histoire de H.I. Marrou prend place dans une période de crise de la « conscience européenne » marquée par la seconde Guerre mondiale, les totalitarismes, la volonté, à la Libération, de réformer la société. H. Terral montre qu’il adhère aux idées modernistes et à de nombreuses orientations du plan Langevin-Wallon, mais qu’il reste, sans pour autant être passéiste ou conservateur, attaché à l’enseignement des humanités, à la formation morale des individus et à la transmission d’une culture générale portée par la tradition.

Correspondance : L’islamisation de la connaissance. Entre savoir et pouvoir, par Zouaoui Beghoura (Université du Koweit)

Le discours de l’islamisation de la connaissance entend apporter une réponse à la crise que rencontre la civilisation musulmane. Il est lié au projet de « réveil islamique » qui apparaît dans les universités nord-américaines pendant la guerre froide en s’appuyant sur l’idée de « troisième voie ». Son modèle est fourni par Ibn Taymia qui devant une crise similaire au XIIIe siècle avait proposé comme issue de soumettre la raison et la pratique à la loi coranique. Dès lors le Texte sacré et la Tradition sont pensés comme le fondement véridique de toute connaissance. L’article explique pourquoi les sciences humaines sont la cible privilégiée du projet d’islamisation de la connaissance et comment une alliance objective s’est mise en place entre le pouvoir politique dans les pays arabes et le rejet des modes de connaissance occidentaux.