n°32 : L’enfant et l’Imaginaire

Le Télémaque n°32 (2007/2)

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L’intérêt pour la culture de masse dans le domaine de l’éducation a pris le pas aujourd’hui sur l’interrogation concernant le rôle de l’imaginaire dans le développement de l’enfant. Si l’on entend par « imaginaire » la production d’un monde de l’esprit en marge de la réalité de l’expérience et des réalités construites par les sciences, l’imaginaire est souvent affecté d’un signe négatif, assimilé à l’illusion. En même temps, la montée du rejet de l’apprentissage, l’apparition de nouvelles pathologies psychiques, ou l’augmentation de la violence chez les mineurs invitent à se demander si les analyses traditionnelles de la délinquance ou de l’échec scolaire suffisent – autant de questions que ce dossier voudrait traiter : les remaniements de l’imaginaire enfantin, ses nouvelles manifestations culturelles, son statut épistémologique.

Ouverture : Enfantines (extrait), par Valéry Larbaud

Chronique morale : À l’école du jeu sportif, par Michaël Clad (Collège Victor Hugo, Noisy-le-Grand)

La pratique des sports à l’école est éminemment ambiguë : constamment sollicités (au titre de l’épanouissement de soi, de l’éducation à la citoyenneté…), ils sont constamment secondarisés, voire ignorés. L’auteur opère un certain nombre de rappels historiques utiles. Dans sa tradition historique, aristocratique ou populaire et villageoise, le sport est d’abord détente et plaisir ; sous la forme de l’agôn, il vise la victoire et demande rigueur et patience. L’éducation physique et sportive à l’école peut-elle favoriser à la fois le jeu et l’esprit de compétition ? En fait, comme le rappelle M. Serres, la pratique du sport est bien plutôt « apprendre à perdre » et son usage (scolaire) serait dès lors une habituation à l’échec – sauf à assumer sa pure dimension de jeu et admettre qu’il ne sert à rien (mais sa rationalisation didactique ne plaide pas en ce sens).

Notion : Le sommeil, par Alain Vergnioux (Université de Caen)

Le sommeil rythme nos nuits et nos jours, de façon immédiate et simple. Mais sa réalité est plus troublante. Proust et Kawabata décrivent l’inquiétante énigme que soulèvent, dans les frémissements de leur abandon, les « belles endormies ». Shakespeare poursuite avec malice les fantaisies et sortilèges qui assaillent les dormeurs du Songe d’une nuit d’été. Dans ses fonds les plus noirs, le sommeil ouvre aussi la porte aux monstres de la nuit et à leurs terrifiants cortèges. Mais pour l’auteur, si la littérature à fait du sommeil et du rêve un des ses thèmes de prédilection, c’est peut-être le cinéma qui « mime » au plus près son expérience incomparable.

Dossier : L’enfant et l’imaginaire

Présentation, par Dominique Ottavi (Université Paris VIII)

Imaginaire et attestation de soi, par Gérard Wormser (ENS Lyon)

L’enfant imagine le monde en même temps qu’il apprend à le vivre ; l’imaginaire lui permet de d’en imaginer les possibles – leur donner « figure ». L’auteur en apporte le témoignage à travers l’expérience picturale d’Yves Tanguy ou de Max Ernst qui posent de façon radicale la possibilité de toute figuration, l’expression des énergies et matérialités qui les constituent. En termes sartriens, le « pratico-inerte » est la clé de l’imaginaire. L’imaginaire permet en effet au sujet d’advenir à lui-même, dans un mixte de matérialités et d’illusions, les œuvres de l’enfance sont le terreau de l’existence adulte.

L’enfant dans l’adulte, l’élève dans le maître, par Florence Giust-Desprairies (Université Paris VII)

À partir d’un travail clinique avec des groupes d’enseignants, l’auteure met en lumière l’impact de leur propre passé comme élève dans les relations qu’ils entretiendront ensuite avec les classes. Le cas présenté est celui d’une enseignante partagée entre une enfance en Algérie qui a nourri son imaginaire et une scolarisation en métropole après la décolonisation, cette dernière demandant le refoulement de l’expérience enfantine. L’analyse montre comment cette enseignante a trouvé dans la culture gréco-romaine le fonds « méditerranéen » qui lui a permis de renouer les deux faces de son identité et comment cela lui a aussi permis de mieux comprendre le rapport de ses élèves à l’institution scolaire.

Les enfants face aux contes merveilleux : un imaginaire de l’autre ?, par Renaud Hétier (UCO Angers)

L’enfant, originairement, rencontre le monde par le corps. Selon l’auteur, ce rapport est façonné par la peur, la chute, l’annihilation. Le recours à l’autre cependant reste ambivalent en ce qu’en même temps, il protège et aliène. Le dilemme est alors le suivant : comment affronter l’ambiguïté de la dépendance ? Ces différents traits structureraient de façon primordiale l’imaginaire enfantin. L’auteur analyse dans cette perspective les contes merveilleux de la tradition, examine la culture « sauvage » de l’enfant, en quoi cet imaginaire peut heurter l’imaginaire dominant adulte et quel rapport au temps il instaure.

L’imaginaire proposé par les jeux vidéos, par Marina d’Amato (Université Rome III)

Ce qui distingue les jeux vidéos et les rend particulièrement attractifs, c’est la possibilité donnée à l’utilisateur de devenir le protagoniste des histoires racontées et d’y agir à la première personne. L’auteure analyse cette immense production, dans son histoire déjà ancienne (1958), ses modes de conception, de fabrication et de diffusion. Elle remarque également que tant dans les thèmes, les identifications qu’en pourcentages d’utilisateurs, les jeux présentent des dominantes masculines. Les valeurs morales qu’ils véhiculent sont courage, persévérance, inventivité, mais tous demandent aussi au joueur de savoir faire ses preuves et n’excluent pas la cruauté dans un monde où la mort souvent sanctionne l’erreur ou l’échec.

Le public des enfants, par Dominique Ottavi (Université Paris VIII)

Méditant sur la place de la littérature dans la culture, P. Hazard en 1932 accorde toute son attention à l’expression de la sensibilité enfantine dont il voit la marque lointaine dans les contes populaires. La littérature édifiante comme l’intrusion de la pédagogie dans l’éducation manifestent à cet égard un déclin dont J.-J. Rousseau fut en un sens l’initiateur. Il s’agirait dont de rendre au « peuple enfant » sa liberté dans le choix de ses lectures et de ses créations littéraires, ce qui permettrait aussi de revivifier une culture européenne vieillissante.

Pour en finir avec le XXe siècle et ses éternelles adolescences, un roman d’éducation pour le troisième Millénaire, par Marie-Louise Martinez (IUFM de Nice)

Une lecture des sept tomes d’Harry Potter avec les outils de l’anthropologie mimétique permet de montrer que l’œuvre de madame Rowling présente une véritable vision de la société, de l’école et de l’éducation. On trouve dans la saga une mise en lumière de la violence dans ses deux principaux processus : ségrégation ou confusion. Rompant avec les best-sellers du XXe siècle et leur fascination romantique pour l’adolescence, Harry Potter renverrait au travail de refondation anthropologique à l’œuvre aujourd’hui dans les imaginaires de la jeunesse contemporaine. L’histoire des petits sorciers contribuerait donc à une nouvelle intelligibilité de l’humain et au désensorcellement du monde.

L’Oiseau Bleu : histoire d’une revue rédigée par des enfants pour des enfants (1922-1929), par Laurent Gutierrez (Université Paris VIII)

En créant L’Oiseau Bleu en 1922, R. Cousinet voulait promouvoir une littérature enfantine fondée sur des bases scientifiques : la pédagogie expérimentale. La méthode de « travail libre par groupe » le conduit à faire écrire des contes par les enfants. Il donne aux enseignants désireux de suivre sa méthode des indications précises qui préservent leur autonomie et leur liberté de décision. Rapidement, la revue suscita de nombreuses attaques (proches de celles que rencontre Freinet avec le texte libre) et des difficultés matérielles. Il n’importe, Cousinet développe le projet en créant des « bibliothèques enfantines » propres à enrichir et promouvoir la littérature pour enfants, dont L’Oiseau Bleu aurait pu être un modèle.

Document : Écrits de jeunes délinquants, par Mathias Gardet (Université Paris VIII)

Les centres d’observations mis en place pendant les années 1940 accueillent sous le régime de l’internat et pour une période de trois mois, de jeunes délinquants, avant de les orienter vers les établissements de l’éducation surveillée. Il y subissent un certain nombre de tests destinés à détecter chez eux troubles du comportements, degré d’intelligence, déviances ou perversités. De fait, les écrits présentés, issus des archives du centre de Savigny-sur-Orge laissent une large part à leurs désirs et à leurs rêves, comme à leur regard acérée sur la société où ils sont nés.

Étude : Kfar-Yeladim ou le village des enfants : l’expérience pionnière de Pougatchev en Eretz-Israël, vue par Joseph Kessel (1926), par Laurent Fedi (IUFM d’Alsace) et Yaffa Wolfman (Université de Bar-Ilan, Israël)

Les auteurs présentent et commentent le texte de J. Kessel où il décrit l’expérience de Kfar-Yeladim (« république des enfants ») qu’il visita en 1926 à l’occasion de son voyage en Israël d– expérience, saluée par J. Piaget comme A. Ferrière comme exemplaire du projet d’Éducation nouvelle. A l’instigation du pédagogue ukrainien, S.Z. Pougatchev, Kfar-Yeladim s’organise selon le principe d’auto-organisation des enfants (répartition des tâches, Constitution, Tribunal) autour de la notion, centrale, de « travail ». Cette « aventure pédagogique » cependant fut de courte durée, les orientations traditionalistes en matière d’éducation étant jugées plus adaptées à la construction du nouvel État.