n°28 : Les instituteurs

Le Télémaque n°28 (2005/2)

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Depuis maintenant plus de dix ans, le terme « instituteur (trice) » est officiellement remplacé par celui de « professeur d’école ». Il n’a pas pour autant disparu des usages, tandis que l’histoire des instituteurs donne lieu à de nouvelles recherches. Le dossier s’organise autour de deux axes : d’un côté, une mise en perspective historique et une réflexion critique sur l’aventure de l’école primaire, ses valeurs, ses enthousiasmes et ses contradictions ; de l’autre, une introduction à de nouvelles questions et de nouveaux thèmes de recherche dans une histoire qui est loin d’être close : les instituteurs et le syndicalisme révolutionnaire au début du XXe siècle ; les instituteurs sous le régime de Vichy ; les instituteurs indigènes dans les pays du Maghreb. À travers cet ensemble d’études, sont interrogées de façon nouvelle les valeurs fondatrices de l’école républicaine : égalité et démocratie.

Ouverture, par Armand Biancheri

Chronique morale : Égale dignité des primaires et des secondaires, par Sophie Ernst

Le remplacement des Écoles normales d’instituteurs par les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres, des instituteurs par les professeurs d’école, répondait entre autres à un projet d’égalisation de statut et de dignité entre les deux corps d’enseignants. Au centre de cette mutation, la question de la « professionnalisation » et ses interprétations ambiguës. Sophie Ernst montre comment d’autres inégalités se sont constituées entre le premier et le second degré, et, à l’intérieur de l’institution, de nouveaux clivages.

Notion : La « révolution copernicienne » de la pédagogie, par Dominique Ottavi (Université Paris VIII)

C’est à Kant que l’on doit le retournement épistémologique du syntagme copernicien de « révolution ». D. Ottavi analyse comment la métaphore, transférée dans le champ de la pédagogie, a d’abord concerné les savoirs, s’est nourrie de psychologie de l’enfant et de l’adolescent, pour devenir un slogan et désigner, à partir de l’Education nouvelle surtout, des revendications aussi diverses que la prise en compte de chaque élève en tant que personne et l’émancipation de la jeunesse en général.

Dossier : Les Instituteurs

Présentation, par Alain Vergnioux (Université de Caen)

Entretien avec Mona Ozouf, par Henri Peyronie (Université de Caen) et Alain Vergnioux (Université de Caen)

L’entretien prend essentiellement appui sur les ouvrages que Jacques et Mona Ozouf ont consacré à l’école et aux instituteurs de la République à partir de leur grande enquête de 1962 sur la génération ayant exercé avant 1914. Seront successivement examinées et discutées les questions de la devise républicaine et de sa déclinaison dans les politiques et les pratiques scolaires, de la culture professionnelle, politique et syndicale des instituteurs, de leurs modes d’inscription dans les terroirs, de la laïcité enfin.

La naissance de la profession d’instituteur. Eléments pour une sociologie historique, par François Jacquet-Francillon (Université de Lille III)

L’auteur analyse des récits de vie rédigés par des instituteurs du XIX e siècle et en extrait des descriptions de leur situation, de leur statut professionnel ou de leur fonction sociale tels qu’ils les perçoivent, les subissent ou les revendiquent. Ce faisant il problématise la notion d’identité professionnelle en la décomposant en « existence professionnelle » et « affirmation collective de soi ». Il montre enfin comment ces données sont modifiées au cours du XXe siècle par la féminisation de la profession.

L’autre école des premiers instituteurs syndicalistes, par Frédéric Mole (IUFM de Lyon)

Au début du XXe siècle de nouvelles conceptions de l’école et de la mission collective des instituteurs se font jour et introduisent autant de tensions au sein de modèle républicain. A travers les amicales et les premiers syndicats, les instituteurs se perçoivent davantage que dans la période précédente comme une force de proposition critique sur le plan pédagogique et institutionnelle. Ainsi, les premiers syndicalistes, décrits par François Mole, sont-ils d’abord des militants pédagogiques plaidant pour une meilleure prise en compte de l’enfant dans son développement psychologique et dans son milieu naturel, économique et social. Cela ne va pas sans la critique des programmes et des exercices « officiels » ou la remise en cause de l’enseignement de la langue ou de la forme du Certificat. Allant plus loin, sur leur frange libertaire, ils contestent le monopole de l’Etat et envisagent la création avec l’aide des Bourses du travail, d’écoles « libres » qui seraient des espaces d’expérimentation pédagogique.

Péguy et les instituteurs, par Pierre Statius (IUFM de Franche-Comté)

Pierre Statius reprend l’ensemble des textes où Péguy s’exprime sur l’école et l’instruction pour thématiser successivement toute une série de questions qui structurent l’histoire intellectuelle et institutionnelle de la Troisième République : portrait conquérant des jeunes normaliens formés dans les Ecoles normales, leur situation parfois misérable ensuite, la concurrence de l’instituteur et du curé dans la formation de la jeunesse, la critique du monde moderne et l’appauvrissement de la culture classique.

Les instituteurs et l’étude du milieu local. Variations sur la réponse à une injonction paradoxale, par Youenn Michel (Université de Caen)

L’ouverture de l’école sur le milieu local est une injonction paradoxale lancée par des instances éducatives marquées par les traditions centralisatrices françaises. Comme telle, elle est susceptible d’être diversement reçue par les instituteurs. L’exemple de la politique scolaire provincialiste du gouvernement de Vichy suggère ainsi que les maîtres conservaient une autonomie d’appréciation malgré les efforts des autorités et de la propagande.

Formation et parcours personnel d’un instituteur public pendant la seconde Guerre Mondiale, entretien.

Le témoignage de Raymond Caron se suffit à lui même et décourage toute tentative de commentaire. A travers son histoire personnelle, il décrit avec une mémoire lucide et précise la situation et le destin de milliers de normaliens confrontés, à partir de 1939, à l’entrée en guerre, une formation morcelée sous la mainmise du gouvernement de Vichy, l’expérience de l’exode, du STO pour certains, pour d’autres de la Résistance.

Étude : Le clavier, par Pierre Billouet (IUFM des Pays de la Loire)

Il s’agit du clavier de l’ordinateur et de son introduction dans les classes, qui est bien plus qu’un simple changement technique. En fait, il signifie l’entrée des apprentissages, et partant de l’école, dans un « système technologique » différent : ce n’est pas simplement la « place » de l’écriture qui se trouve redéfinie, c’est la nature de l’écriture et de l’écrit qui se trouvent bouleversée ; l’objet technique guide (norme) les gestes de l’utilisateur ; le clavier définit de nouvelles temporalités, de nouvelles déterminations des pratiques humaines (proximité, rapidité, imprévisibilité). Le modèle humaniste de l’éducation s’en trouve ainsi profondément affaibli, congédié peut-être.