n°16 : La mixité

Le Télémaque n°16 (1999/2)

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On peut distinguer deux types de société : les unes font plutôt confiance en l’enfance et en ses possibilités d’invention ; les autres s’en protègent et mettent en place des dispositifs de contrôle. Entre ces deux pôles, une variété d’attitudes sont possibles et on peut ramener à six les figures possibles de l’enfance : l’enfant idéal, image d’un bonheur perdu et toujours désiré ; l’enfant sacré, auquel les adultes confient le soin de porter leurs espoirs ; l’enfant Eros, qui forme avec la figure maternelle de Venus un couple où l’homme est absent ; l’enfant victime, vers lequel convergent toutes les violences sociales et qu’il faut protéger ; l’enfant marchandise, objet commercial ou bancaire ; l’enfant soldat, enfin, jugé assez âgé pour aller mourir sur les champs de bataille.

Ouverture, par Geneviève Fraisse

Chronique morale, par Alain Vergnioux (Université de Caen)

Poser à l’école la question de ses rythmes, c’est poser la question de la maîtrise réglée du temps scolaire dans un but de contrôle et d’efficacité des activités. En lui opposant la métaphore du swing, l’auteur veut montrer que l’idée de rythme n’a de sens, véritablement, que dans la rupture et l’invention – par et pour des sujets.

Notion : La parité, par Pierre Statius (Université de Franche-Comté)

Le débat sur la parité met en relief la contradiction entre la définition universelle de l’homme et la prise en compte de la différence sexuelle. Quels rectificatifs apporter à l’hégémonie masculine sans verser dans la fragmentation communautaire ? L’auteur montre que la question renvoie à deux conceptions de la citoyenneté privilégiant l’une l’association de singularités empiriques, l’autre l’intégration à un modèle abstrait d’individus égaux.

Dossier : La mixité

Introduction, par Laurence Cornu (IUFM Poitou-Charentes)

La mixité scolaire : enjeux sociaux et éthico-politiques, par Nicole Mosconi (Université Paris X)

La Troisième République a reconduit, contre le modèle américain de la « coéducation » ,une non-mixité héritée de l’enseignement catholique ; la mixité scolaire n’est introduite en France que par étapes après la seconde Guerre Mondiale sous l’effet du mouvement d’émancipation des femmes. Or, alors que la récusation ou l’encouragement de la mixité reposent au début du siècle sur des présupposés socio-politiques, l’institution tardive de la mixité se fait par décrets, sans finalités pédagogiques ni débats politiques explicites. La mixité ainsi « instituée » organise-t-elle une rencontre ou un conflit entre les sexes ? Des inégalités sournoises persistent qui demandent non un recours à quelque idéalisme mais une réflexion et une action éthico-politiques susceptibles de rendre réelle l’égalité des chances entre filles et garçons.

Souvenirs d’avant

L’auteur, qui a souhaité gardé l’anonymat, montre que l’expérience et la réflexion psychanalytiques permettent ici une anamnèse en quête de sens, à même le souvenir sensible. Si la ségrégation, dans un lycée de jeunes filles « d’avant » , laissait en jachère le terrain de la sexualité et contribuait dans la lancée de la phase de latence à l’épistémophilie, ce terrain se retrouvait « en friche » à l’adolescence : l’éducation séparée renforçait une idéalisation de l’autre sexe, vouée à d’amères désillusions. On constate aujourd’hui qu’apprendre en commun n’empêche pas d’apprendre et la coéducation permet un compagnonnage « réel » , mais elle engendre d’autres effets. Mixité ou non, l’amour est à construire.

L’adolescent, l’adolescente, par Dominique Ottavi (IUFM de Versailles)

L’adolescence est problème, tant au plan pratique de l’éducation que pour en élaborer une connaissance scientifique. C’est celle-ci qu’ambitionnent au moment de l’invention freudienne Granville Stanley Hall et ses collaborateurs à l’université de Clarke en proposant une psychologie génétique : selon eux, l’adolescence, par sa rupture avec l’enfance, retrouve le mouvement de l’humanité d’accession à un monde plus large et à la spiritualité : ouverture et conversion. La puberté féminine est alors décrite comme la découverte d’une participation à la fois corporelle et sacrée à une « chaîne de vie » qui dépasse les individus.

Ce genre qu’on se donne, par Anne-Marie Drouin-Hans (Université de Bourgogne)

Rousseau, dans l’Émile, assigne des rôles à Emile et Sophie tout en pensant l’unité du « genre humain » – de l’espèce humaine. Les travers de cette recherche de caractéristiques, dont les conclusions choquent les mentalités modernes, sont en fait reconduits dans certains courants féministes contemporains. L’usage du terme « genre » (gender) depuis les années soixante-dix, censé dépasser les présupposés naturalistes de celui de « sexe » , présente ainsi nombre d’ambiguïtés dues à la difficulté de penser l’universalité et la différence et dues à l’aporie selon laquelle nous ne saurions nous passer d’images… qui se révèlent fausses. Le « genre » n’existe pas mais se construit – dans la douleur et le jeu.

Entre nature et artifice : le mixte retrouvé, par Bernadette Bensaude Vincent (Université Paris X)

Rien n’est pur dans la nature, en dépit des images publicitaires. Le mixte, le mélange engendrent ordre – au sens le plus archaïque, opposé à chaos – et nouveauté. Compositions géométriques ou explications qualitatives : pour les Grecs anciens, le cosmos est un mixte, pensé comme harmonie et variété infinie de combinaisons d’un ensemble fini d’éléments et si la cité grecque reste faite d’exclusion, Rome a parié sur l’hétérogène. Pari illustré dans les matériaux composite contemporains : leur mise en ouvre conduit à faire travailler ensemble des partenaires hétérogènes et cette culture « multi-matériau » peut inspirer l’idée d’une société du composite, transposition dans le social des potentialités du mixte.

D’une métaphysique des genres à une stratégie de la frontière, par Brigitte Frelat-Kahn (IUFM de Paris)

La mixité recèle en son fond à la fois hiérarchisation et égalité. L’appartenance commune à l’espèce humaine n’exclut pas la différenciation de genres, commensurables et hiérarchisés : ainsi pense la métaphysique des entités. Avec la revendication d’égalité, l’universel commun se dissout en même temps que les démarcations s’estompent. La mixité se fait pluralité, affaire de relation, d’exploration des frontières qui constituent les individualités, de concurrence demandant à être réglée – affaire moins de complémentarité que de tolérance.

Un principe d’incertitude. Remarques sur la démocratie et la mixité, par Pierre-Damien Huyghe (Université Paris I)

Platon critique la démocratie au motif qu’elle s’ordonne au désir et ne connaît pas de mesure : désir et égalité seraient incompatibles. Le problème est bien celui-ci : comment s’entendre entre sujets désirants et posés comme égaux ? Justement il y a mixité si un désir (singularité incommensurable) peut se lier à un autre autrement que par la force : la mixité est une relation pacifique de désirs. Ainsi, elle est non pas un idéal mais un fait, le fait politique concret par excellence : principe d’incertitude et non pas fonctionnalité ; tissu, tension à l’intérieur d’un même genre. La mixité n’obéit pas à la logique de la répartition, elle est ce qui interdit l’assignation d’un être à une identité.

Étude : Le De magistro de Saint Augustin et les modèles d’enseignement, par Jean-Marc Lamarre (IUFM des Pays de Loire)

Le numéro 14 de la revue proposait un article d’Israël Scheffler dans lequel le philosophe américain ramenait les interrogations sur l’enseignement à trois principales : quelle sorte d’enseignement ai-je pour finalité de réussir ? En quoi consiste vraiment un tel enseignement ? Que pourrais-je faire pour que cela réussisse ? Questions qu’il traitait à travers les trois figures de Locke, Augustin et Kant. Jean-Marc Lamarre lui répond aujourd’hui sur son interprétation du De magistro en particulier à propos de la question du langage.

Correspondance : Sur l’identité de la théorie éducative, par Maria Eugénia Motta Falco (Université de Lisbonne)

Vouloir analyser l’identité de la théorie éducative, c’est poser dès l’abord son caractère problématique. L’objectif de cet article est d’évaluer la possibilité d’une connaissance qui soit le fondement de l’éducation et de clarifier la nature de cette connaissance. J’essaierai d’analyser cette question selon deux axes : l’action éducative et la recherche en éducation.