n°51 : Lectures et usages de Paul Ricœur : l’identité narrative et la transmission

Le Télémaque n°51 (2017/1)

 

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Le dossier de ce numéro 51 de la revue présente une approche originale de la pensée de Paul Ricœur : « Lectures et usages de Paul Ricœur : l’identité narrative et la transmission ». Des approches multiples et croisées construisent une mise en perspective des textes de cet auteur, selon un axe double : historique et problématique.

Ouverture, par Catherine Goldenstein

Chronique morale, Joseph Marie de Gérando, Du perfectionnement moral ou de l’éducation de soi-même, choix de texte et présentation par Didier Moreau

Joseph Marie de Gérando (1772-1842) est un philosophe qui reste méconnu en France. Son œuvre pédagogique est importante : il est l’un des fondateurs de la Société pour l’instruction élémentaire (1815), qui prône l’enseignement mutuel et l’instruction des adultes. De Gérando interprète un concept néo-stoïcien de perfectionnement de soi, tiré du cura sui, qu’il relie à une théorie philosophique de la connaissance pour poser la notion d’éducation spontanée, source d’une éducation tout au long de la vie, par quoi l’individualité se construit. Cette perspective a, outre-Atlantique, fortement influencé Emerson. Le texte présenté est le premier chapitre de son ouvrage de 1824 : Du perfectionnement moral ou de l’éducation de soi-même.

Notion : Autonomie, par Philippe Foray

L’autonomie définie ici comme capacité à agir par soi-même, à choisir par soi-même et à penser par soi-même est une ressource dont nous avons besoin. Cette ressource dépend des « appuis de socialisation » et des conditions politiques qui la rendent possible. L’autonomie est un but nécessaire de l’éducation pour toute société qui comme la nôtre ne parvient pas à réunir un consensus sur les buts de l’éducation. Cette éducation à l’autonomie n’a pas lieu seulement à l’école, mais en tous lieux éducatifs. La réflexion sur l’autonomie rappelle qu’il importe de considérer l’expérience éducative de façon globale.

Dossier : Lectures et usages de Paul Ricœur : L’identité narrative et la transmission

Présentation, par Hubert Vincent

Fragilisation de la fonction narrative et impasses du sujet, par Ilaria Pirone

En suivant le fil narratif proposé par Paul Ricœur, l’auteur analyse certaines impasses de l’“imaginaire narratif” d’enfants et d’adolescents, comme l’expression d’une forme de fragilisation de la “fonction narrative” propre à notre contemporanéité. Ces difficultés conduisent l’auteur à proposer l’idée que le récit change, se modifie, mais la fonction fictionnelle constitutive de l’existence, notre besoin narratif, persiste.

Entre le sens et la structure : Paul Ricœur et le débat sur les lettres, par Bertrand Johanet

L’article propose une réflexion sur l’apport de Paul Ricœur au renouveau des études littéraires au lycée, avec pour enjeux didactiques une meilleure compréhension de la littérature comme objet d’enseignement par les professeurs et une diversification des modes d’entrée dans les textes pour les élèves. La fin des années 1990 a connu une querelle des Anciens et des Modernes qui a abouti en 2000 à une refondation de la discipline des lettres axée sur le sens en conservant les méthodes d’analyse héritées de l’école structurale comme des outils pertinents pour interroger la signification des œuvres et des textes. La contribution de Paul Ricœur à cette refondation réside pour l’essentiel dans sa relecture des apports féconds de la sémiotique narrative à la lumière de la pensée d’Aristote sur le discours et les genres littéraires.

L’identité narrative : un « rejeton » substantiel ?, par Didier Moreau

La notion d’identité narrative forgée par Paul Ricœur connaît une grande faveur actuellement en sciences humaines, où elle apparaît comme une alternative idéale permettant à la fois d’échapper aux théories essentialistes du sujet et de faire l’économie de leur déconstruction. Nous examinons ici la genèse de cette notion dans la lecture que fait Ricœur de Heidegger et dans sa mobilisation du Tournant pragmatique comme miroir de la Kehre heideggérienne. Nous explicitons ensuite l’historicité qu’elle implique et nous établissons en synthèse la différence, souvent sous-estimée, entre le sujet narratif propre à Ricœur et le mode de subjectivation chez Foucault. Enfin, nous analysons l’usage en abyme que Ricœur fait de l’identité narrative dans sa lecture de Proust, en réponse à celle de Deleuze. Il n’y a donc peut-être pas d’échappatoire à l’aporie que relève Plotin relativement au sujet en formation : substance permanente ou métamorphoses de l’être en devenir.

Transmettre le passé, par François Dosse

Paul Ricœur fait la démonstration que la transmission du passé ne consiste pas en une sacralisation d’un passé figé. Le passé s’est configuré dans des possibles qui se sont avérés, mais un certain nombre de ses potentialités peuvent nourrir un présent aujourd’hui coupé de tout projet futur. Ricœur rompt ainsi avec la tendance jusque-là prédominante consistant à fataliser le passé dans un système causal strict pour le rouvrir sur ses possibles non avérés et sur la construction d’un horizon d’attente.

Qu’est-ce que la “réalité” du passé historique ? Réflexions à partir de la théorie de l’histoire chez Paul Ricœur, par Jeffrey Andrew Barash

Au cours des dernières décennies, la question de la réalité du passé historique suscite un vif débat qui concerne non seulement l’historiographie ou la théorie de l’histoire, mais aussi la critique littéraire. Ce débat a été posé d’estomper la distinction entre la représentation historique et le récit fictif, ce qui met ainsi en question la prétention de l’historien de trouver une mesure de la “réalité” du passé historique. Cet article analyse la réponse critique que Paul Ricœur propose, dans les différentes périodes de son œuvre, au défi soulevé par le scepticisme historique. Il met en relief la manière dont Ricœur, à la suite de sa lecture critique de la philosophie de Heidegger au cours des années 1980 et au début des années 1990, emprunte dans son ouvrage tardif La mémoire, l’histoire, l’oubli un certain nombre de concepts clés proposés par Heidegger dans Être et temps, pour étayer sa théorie de la réalité du passé historique. L’objectif de cet article est moins de proposer une exégèse du travail théorique de Ricœur que de soumettre à l’examen critique le rôle des concepts heideggériens dans son interprétation du passé.

Traduction et altérité chez Paul Ricœur : enjeux pour l’éducation, par Marie Vergnon

La question de la traduction a traversé l’œuvre de Paul Ricœur, développée progressivement dans ses travaux à partir des années 1950, jusqu’à la publication en 2004 d’un ouvrage dédié intitulé Sur la traduction. S’il ne la mit jamais explicitement en perspective avec les questions éducatives, ses réflexions sur l’humanité, l’altérité, les cultures et l’hospitalité langagière dans ce contexte trouvent écho dans des enjeux éducatifs mis en évidence par Ricœur lui-même et ouvrent à une réflexion sur l’éthique du rapport à autrui et sur le rôle de l’éducation.

Note sur l’initiative, par Hubert Vincent

L’œuvre de Paul Ricœur est certainement riche de tout un ensemble de notions qui peuvent s’avérer précieuses pour la réflexion éducative, en particulier la notion d’initiative. Cet article s’attache dans un premier temps à en restituer les contours, pour elle-même, tout en prenant en garde certains aspects de la conceptualité ou du « système » de cette philosophie. Il s’attache ensuite à un aspect, tenu pour central, de cette notion et le développe en s’aidant de Montaigne, d’Alain et de Deligny.

Étude : Bertrand Russell, philosophe de l’éducation, par Nicole Mosconi

Bertrand Russell (1872-1970), célèbre par sa philosophie des mathématiques et de la connaissance, l’est aussi par sa philosophie morale et politique, dont sa philosophie de l’éducation est une pièce centrale. À travers ses deux livres, On education, especially in early childhood (1926) – qui traite de l’éducation du jeune enfant et qui défend, dans la scolarisation, une instruction rénovée – et Education and the social order (1932) – qui est une réflexion politique plus large sur ce que devrait être « l’éducation dans une société moderne », industrielle et démocratique – j’examinerai d’abord la philosophie morale et politique qui fonde sa philosophie de l’éducation et l’influence qu’a exercée sur celle-ci le mouvement anglais de l’“éducation nouvelle” ; puis sa conception des rapports, dans l’éducation, entre liberté et autorité et, plus largement, des rapports entre éducation et société ; enfin, ses conceptions pro-féministes en faveur de la co-éducation, de la co-instruction et d’une égale éducation sexuelle des deux sexes.

Étude : Au miroir de la liberté de conscience : l’utopie laïque et son destin, par Louise Ferté

Qu’est-ce que la liberté de conscience ? Cet article s’interroge sur la signification et les usages de ce principe né lors de la Réforme et réapparu au XIXe siècle au sein du processus de laïcisation scolaire. Éclairer la laïcité par ce principe protestant permet de penser celle-ci comme une remise en question de toute l’institution scolaire : la laïcité qui libère les consciences, ou du moins qui assure leur liberté, ne désigne pas seulement l’organisation institutionnelle des relations entre les religions et l’État, mais engage une réflexion sur les formes politiques, religieuses et pédagogiques à même d’accomplir la mission d’émancipation des citoyens au sein d’un commun républicain que s’est donnée la République depuis 1789.