n°54 : Réformes de la philosophie et de l’Université. Contextes français et latino-américain

Le Télémaque n°54 (2018/2)

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Ce dossier propose un retour sur l’histoire de l’enseignement de la philosophie en France, et une lecture croisée des réformes de la philosophie et de l’université, mettant en réflexion les contextes français et latino-américain.

Ouverture : La pensée universitaire argentine à l’écoute des échos français, par Horacio GONZALEZ

Chronique morale : Exit Roth, par Eric DUBREUCQ

Philip Roth est mort le 22 mai 2018 à 85 ans ; il laisse une œuvre considérable, à laquelle je veux essayer de rendre hommage, en soulignant, pour commencer, son caractère scandaleux : Roth fut accusé d’antisémitisme, de pornographie et de misogynie, et, pour cela, vilipendé sur la place publique. C’est que ses livres sont traversés de provocations, et qu’ils s’efforcent de décrire une expérience humaine faite, parfois, de grandeurs, et, souvent, de bassesses. La littérature, selon Roth, n’a pas de leçon de morale à donner ni à recevoir, parce que sa fonction n’est pas d’exprimer quelque idéal de pureté ou de bonté, mais de peindre, par le biais de certains procédés littéraires, la réalité, de la tenir à distance par le rire sans en occulter les aspects les plus sombres.

Notion : Autogestion, par Valentin Schaepelynck et Engin SUSTAM

Dans ce texte, les auteurs dégagent les enjeux théoriques et politiques de l’autogestion, ses appropriations contemporaines, en particulier du point de vue de l’autogestion pédagogique.

Dossier : Réformes de la philosophie et de l’université

Présentation : Venir après l’histoire de la philosophie, la Reforma Universitaria et Mai 1968 ?, par Patrice VERMEREN

Victor Cousin et l’instrumentalisation de l’histoire de la philosophie, par Lucie REY

En France au lendemain de la Révolution, l’histoire de la philosophie est instrumentalisée, son interprétation est subordonnée à des enjeux politiques. Aussi s’agit-il dans cet article de questionner le rapport que la philosophie française construit avec sa propre histoire du XIXe siècle, les usages de la tradition philosophique apparaissant comme des arguments de légitimation pour la philosophie présente. Cette thèse pourrait être défendue au sujet d’un certain nombre d’auteurs de l’époque ; cet article choisit de se centrer sur la figure de Victor Cousin, figure majeure pour la philosophie du XIXe siècle, qui illustre de manière particulièrement aiguë ce lien entre politique, philosophie présente et histoire de la philosophie.

Victor Cousin, la philosophie et son histoire, par Pierre-François MOREAU

L’université française possède une façon propre de pratiquer la philosophie, aussi bien dans ses travaux théoriques que dans ses exercices scolaires : il s’agit d’élaborer une position personnelle à travers une traversée de l’histoire de la philosophie. Cette tradition nationale remonte à Victor Cousin ; elle faisait partie de la stratégie pour construire une philosophie au service de l’État mais indépendante de l’Église.

Georges Canguilhem et les professeurs de philosophie, par Patrice VERMEREN

Qu’est-ce qu’enseigner la philosophie en France, et singulièrement dans l’après-coup de la Seconde Guerre mondiale, qui a promu la référence à Hegel comme incontournable, posant la question du sens de l’histoire, et où l’humanisme, le marxisme et l’existentialisme sont les problèmes ou les doctrines de l’heure ? D’abord, répond Georges Canguilhem, exercer un métier de professeur, enseignant – singulièrement dans les lycées – une discipline qui permet aux élèves de cultiver l’autonomie du jugement et de la réflexion. Et si la philosophie est un examen critique et une assignation de valeurs, traitant des attitudes de l’homme devant la vie, sa transmission passe aussi par la lecture des textes des philosophes. Mais pour autant, il s’agit d’éviter l’écueil du cimetière des doctrines et de promouvoir la rencontre de deux libertés.

Pour un nouvel enseignement de la philosophie. Retour sur « La philosophie des professeurs » de François Châtelet, par Nathalie PÉRIN

Faire retour sur La philosophie des professeurs de François Châtelet, c’est se pencher sur un ouvrage qui posait en son temps (1970) une question que rencontreraient, quelques années plus tard, J. Derrida et le Greph, de la place et de la fonction de l’enseignement de la philosophie dans l’institution éducative française. F. Châtelet apparaît ainsi comme un penseur original de la mise en question de l’institutionnalisation de la philosophie. Critique qui ne se déliera pas (et dans l’œuvre même du philosophe) d’une défense renouvelée de cet enseignement et, plus largement, de la transmission philosophique. Singularité de cet ouvrage qui, pour s’inscrire dans l’héritage critique de penseurs tels que P. Nizan, G. Politzer ou J.-F. Revel, ne voudra pas faire siennes la déploration ou la réaction, mais cherchera les voies problématiques d’une véritable défense et affirmation de la philosophie au sein des établissements d’enseignement. Désidéologiser la philosophie telle qu’elle se présente à travers les programmes et les manuels qui en sont les vecteurs, participera d’une défense re-posée de ce genre de pensée enseigné. La philosophie ne formerait plus aux opinions communes, ne serait plus l’arôme spirituel prenant la place de la religion dans la formation étatique du citoyen. Mais, en se prenant comme objet même de sa propre critique, chercherait plus que jamais à nuire à la bêtise.

La réforme de l’Université saisie par la philosophie (Présentation du texte de José Ingenieros : L’université de l’avenir, 1916), par Susana VILLAVICENCIO et Patrice VERMEREN

L’Université de l’avenir, selon José Ingenieros en 1916, doit acquérir de nouveau l’unité d’esprit qu’elle a perdue de par son inadaptation à l’époque et au milieu, et insuffler à tous ceux qui la fréquentent la culture générale qui rejaillira sur toute la société dont elle aspire à représenter l’idéologie, et singulièrement les sciences, qui sont des techniques d’économie sociale, et la philosophie, qui est un processus d’unification des idées générales pour déployer l’horizon de l’expérience humaine.

L’université de l’avenir  [1918], par José INGENIEROS

Positivisme et antipositivisme dans la réforme universitaire latino-américaine : José Ingenieros et José Vasconcelos, par Rodrigo DIAZ MALDONADO

Cet essai aborde la relation entre le positivisme d’Ingenieros et la Réforme universitaire engagée à Córdoba en 1918. Pour ce faire, une première partie analyse quelques-uns des principaux écrits d’Ingenieros pour les confronter avec le célèbre Manifiesto liminar qui synthétise les idéaux des jeunes réformistes. Le fil conducteur de l’analyse est l’idée de médiocrité, l’un des piliers de la métaphysique d’Ingenieros et élément clé du Manifiesto. La seconde partie se penche sur la Réforme universitaire mexicaine du début du XXe siècle, notamment à travers l’antipositivisme de son principal leader intellectuel, José Vasconcelos. Cela vise, enfin, à appréhender les principales ruptures et continuités entre ces deux auteurs.

Du réformisme à la révolution (1945-1973) : venir après la réforme universitaire argentine de 1918 selon Arturo Andrès Roig, par Luis GONZALO FERREYRA

Nous évoquerons ici la figure intellectuelle du grand philosophe et historien des idées argentin Arturo Andrés Roig. Ou plutôt, nous allons, à partir de sa propre réflexion philosophique et de sa pratique pédagogique, venir après l’héritage d’un de ces deux grands événements que furent la Réforme universitaire argentine de 1918 et Mai 68. Quels renseignements historiques, philosophiques ou pédagogiques pouvons-nous en tirer sur notre université actuelle en réfléchissant sur l’esprit et l’“identité réformiste” de Arturo Andrés Roig ?

Étude : Le libertinage érudit et la formation de l’homme : le caractère paradoxal de François De La Mothe Le Vayer, par Nathanaelle DUPUIS

François de La Mothe Le Vayer, libertin érudit et philosophe du XVIIe siècle fut précepteur de Louis XIV. La lecture attentive des œuvres de Le Vayer fait apparaître, derrière la grande culture des anciens, une pensée critique qui n’est pas dénuée de sens pour notre actualité. Dans un premier temps, par la mise en place du “gouvernement économique” qui est le propre du gouvernement à l’antique, nous allons repérer dans quelle mesure François de La Mothe Le Vayer fait émerger une forme de despotisme éclairé, une gouvernementalité sécularisée au niveau politique, en engageant la séparation du gouvernement pastoral et du pouvoir royal. Dans un second temps, la conception libertine de l’éducation pose une rupture : l’éducation comme émancipation. Par la mise en pratique de l’exercice de la formation de soi-même, notre libertin met en exergue une autre vision de la formation de soi détachée des formes institutionnelles et de la conversion éducative.

Étude : La présence de Rousseau dans la réflexion éducative de Pestalozzi, par Andrea POTESTIO

Cet essai se concentre sur la présence de certains aspects des théories éducatives de Rousseau dans les écrits de Pestalozzi, en particulier les écrits juvéniles. Il est un peu restrictif de considérer Pestalozzi comme un éducateur qui a tenté d’appliquer, dans des situations éducatives concrètes, l’éducation naturelle de Rousseau, car il existe des éléments de discontinuité significatifs dans la pédagogie des deux auteurs.