n°61 : Théâtre, Éducation, Liberté

  Le Télémaque n°61 (2022/1)         

Chronique morale

Daniel Raichvarg : Auto-(émancip-)action théâtrale. Entre esthétique critique et engagement communicationnel

Dans ce texte qui laisse une large part à l’autobiographie, D. Raichvarg nous rappelle comment il y a quarante ans il a ouvert un domaine d’expérience inédit à l’époque : le « théâtre de science ». Non pas simplement transcrire la science pour la “jouer” sur une scène mais penser de façon nouvelle sa “vulgarisation”, problématiser en direct devant un public ses grandes questions et ses méthodes, avec les moyens du théâtre. Ce faisant et par étapes, lui, ses compagnons d’aventure et désormais nombre d’autres ont défini un domaine de réflexion, de recherche et d’action fécond où se croisent scientifiques, universitaires et gens de théâtre, où liberté, rigueur et souci de l’efficacité sont en constante interaction critique.

Notion

Alain Vergnioux : La voix

La voix ferait-elle naître, à elle seule, un théâtre imaginaire ? Parce qu’elle est à la jonction entre un texte et des corps, la voix est au cœur de la mise en scène et au centre de l’interprétation. Mais dans ce mouvement, elle devient une énigme, pour le comédien dont elle se détache, pour le texte qu’elle éloigne en le transformant, pour elle-même à travers les incessantes métamorphoses qu’elle affronte, dont la dernière n’est pas des moindres : l’amplification électronique.

Dossier : Théâtre, Éducation, Liberté

Alain Vergnioux : Présentation

Bernard Esmein : Shakespeare et le Japon

Depuis un demi-siècle, en Asie comme en Europe, des mises en scène des pièces de Shakespeare se sont multipliées qui les dépaysent dans les formes de jeu du théâtre oriental : kabuki, nô, opéra chinois, kathakali. Quel est le sens de ce mouvement ? Est-ce une mode multiculturaliste liée à la globalisation ? Une façon de rapprocher les contenus narratifs des grands mythes shakespeariens des spectateurs d’autres cultures ? Ou bien un essai de ressourcement auprès des formes de jeu théâtral puissantes dont l’Asie est le conservatoire ? L’article tentera de répondre à ces questions en comparant les mises en scène du japonais Y. Ninagawa, celles de la française A. Mnouchkine, avec une incursion à Taïwan avec Wu Hsing-Kuo. Le détour par l’Orient permet de percevoir de manière sensible ce qu’est une forme théâtrale (par distinction avec le cinéma) et ouvre sur une approche du théâtre qui ne se limite pas à l’écrit, mais inclut aussi la scène, le jeu et la transposition culturelle.

Patrick Vauday : Deleuze avec Bacon, Beckett, Artaud : un théâtre de l’intensité

Dans Francis Bacon. Logique de la sensation, Deleuze se réfère avec insistance, dans la première partie de son livre, au théâtre de Beckett et à celui d’Artaud pour donner tout son relief à l’œuvre du peintre anglo-irlandais. Nous montrons que, loin d’être un simple détour métaphorique destiné à capturer l’œuvre, cette mise en résonance des tableaux de Bacon avec les œuvres de Beckett et Artaud installe la scène d’un théâtre de l’intensité propre à la peinture, en même temps qu’elle renouvelle l’abord esthétique des arts.

Elena Théodoropoulou : Le tragique comme méthode chez Eschyle.Pour une émergence du philosophique

Le tragique eschyléen tout en introduisant la rupture, le conflit, le déchirement, l’aporie, le désastre, n’évite pas de mettre au clair, d’une part, la question de l’humain comme inextricablement lié avec le divin et, d’autre part, un besoin de création ou de maintien de sens condensant et fixant une certaine compréhension de la situation humaine et divine dans le monde, au sein d’un non finito fissurant tant le divin que l’humain en formation incessante, ce qui pourtant n’annule pas le désir d’une conciliation finale. C’est ainsi que la pensée eschyléenne, dégage un point de vue original sur l’éducation de l’homme et le souci en lui de l’humanité.

Nathalie Dupont : Les aventures du théâtre à l’École

Notre contribution cherche à mieux comprendre pourquoi le théâtre a une place à part dans l’École, ni théâtre professionnel, ni théâtre amateur, ni discipline obligatoire. La problématique développée est structurée autour des enjeux et des tensions entre politiques culturelles et éducatives puis analyse plus particulièrement ce qui relève des politiques scolaires, des écarts entre les logiques institutionnelles (objectifs généraux, programmes, cadrages pédagogiques des réformes) et des espaces d’innovation mis en œuvre par des militants. Le théâtre interroge une forme scolaire qui cherche à l’instrumentaliser et il met l’École face aux défis de partenariats nécessaires avec les comédiens et gens de théâtre, dans des “passerelles” complexes entre des pilotages institutionnels et des dispositifs spécifiques qui peuvent se développer dans les marges.

Duy Su Nguyên : Le théâtre traditionnel vietnamien et ses fonctions dans la société

Le théâtre traditionnel vietnamien occupe une place originale dans le patrimoine culturel du Vietnam. Il trouve son origine dans les fêtes populaires villageoises et reflète les activités de la vie quotidienne des paysans, leurs sentiments et leurs espoirs. S’y exprime la voix des différentes classes de la société vietnamienne à chaque époque historique, des masses laborieuses à l’aristocratie. Au fil des siècles, se sont constitués des styles, des conventions, des genres et des modèles narratifs qui remplissent différentes fonctions, du divertissement après des heures de travail pénible à l’instruction esthétique et morale du public, ou de résistance contre les agressions étrangères. En orientant le public vers le vrai, le bien et le beau, il symbolise l’identité nationale du Vietnam, caractérisée par le patriotisme, l’héroïsme, l’optimisme et l’humanisme.

Yannic Mancel : De quoi l’oeuvre d’un metteur en scène est-elle le nom ?

Placé sous l’égide de l’invention de la mise en scène moderne, d’André Antoine et de son projet de “théâtre libre” – affranchi de toute idéologie bourgeoise et de toute contrainte de rentabilité financière –, l’article définit quatre thèmes pour décrire et analyser l’œuvre d’un metteur en scène : les enfances – au sens épique du terme –, les répertoires, l’esthétique scénique, les acteurs et l’idée de troupe, dessinant ainsi les entrelacements fluctuants de la création théâtrale.

Stéphane Douailler : Sur la constante possibilité du théâtre, et sur les marionnettes

Le texte explore un moment d’introduction du théâtre dans les écoles au cours des années où s’imposa l’existence d’une littérature pour l’enfance et la jeunesse, et commence par analyser l’interprétation qu’un inspecteur de l’enseignement primaire devenu lui-même auteur de théâtre pour enfants s’en donna en référence à la tragédie française. Ne s’arrêtant pas à la séparation entre théâtre et monde scolaire imposée quelques années plus tard par les règlements officiels, le texte s’efforce de suivre le fil continué d’une relation entre le théâtre et l’enfance qui passerait par les marionnettes, traverserait les avenirs politiques que W. Benjamin lui prévoyait dans ses conférences radiophoniques et viendrait se souder aux réformes théâtrales qui avaient été annoncées par E. G. Craig et qui ont été poursuivies jusqu’à aujourd’hui. Une hypothèse géométrique empruntée à l’essai Sur le théâtre de marionnettes de H. von Kleist fait le pari de traverser l’ensemble des analyses.

Didier Moreau : « Le feu où jeu et réalité fusionnent », les enfants au théâtre avec Asja Lacis et   Walter Benjamin

La relation entre Asja Lacis et Walter Benjamin s’est articulée autour du théâtre, entre la mise en scène et la conceptualisation critique. L’expérience qui l’a structurée est celle du théâtre d’enfants d’Orel, dont Benjamin élabore rétrospectivement le programme pour Berlin. L’étude analyse comment ce programme s’empare de l’expérience d’Orel pour opérer une critique de l’éducation enfantine afin de la centrer sur sa dynamique métamorphique, seule légitime à préserver sa force révolutionnaire, dont le théâtre d’enfants est l’incarnation radicale.

Hommage à Laurence Cornu

Didier Moreau : Laurence en voyages

María Beatriz Greco : Une philosophe du sensible. Laurence et ses gestes

Jordi Riba : La République de la confiance

Hervé Breton : En chemin avec Laurence Cornu : réciprocité et actions conjointes

Joël Roman : Laurence Cornu, la force des pratiques

Samuel Renier : Penser, lire, transmettre

Anne Maurel : La compagnie d’une voix

Hommage à Nicole Mosconi

Nassira Hedjerassi et Henri Peyronie : Nicole Mosconi (1942-2021)

Nicole Mosconi : La mixité scolaire : enjeux sociaux et éthico-politiques