n°64 : Changer les voix en éducation : décolonisation et pensées critiques de la race I – Éducation et race

    Le Télémaque n°64 (2023/2)            

Ouverture

Réflexions sur la racialisation du monde, par Souleymane Bachir Diagne

Chronique morale

À la recherche d’un temps libvre : une expérience de lecture avec les enfants dans un quartier de Buenos Aires, par Antonia García Castro

Situé dans un quartier de Buenos Aires, le Patio des livres est un atelier de lecture adressé en priorité à des enfants qui ne sont pas déjà des lecteurs. À travers l’exploration du monde des livres, et au gré des conversations qui peuvent se produire, il est le lieu d’une réflexion avec les enfants sur des sujets variés et aussi un espace où des liens se forgent en lisant.

Notion

Application : une notion en voie de disparition ?, par Éric Dubreucq

On tient habituellement la notion d’application pour une certaine relation entre théorie et pratique dont il faudrait demander dans quelle mesure elle est efficace ou critiquable. Mon hypothèse cherchera à dépasser ce topos traditionnel en montrant que cette notion exprime la liaison entre un régime de savoir, un régime de pouvoir et un régime de subjectivation. J’esquisserai une archéologie de deux cas paradigmatiques, celui du régime psycho-moral constitué dans les années 1880 en France, et celui du régime développementaliste à partir du début du XXe siècle, pour interroger la problématisation générale à laquelle renvoie la notion d’application.

Changer les voix en éducation : décolonisation et pensées critiques de la race

Présentation, par Olga Kochie Akou, Jean-François Dupeyron, Élodie Malanda, Vanina Mozziconacci et Pauline Vermeren

Dossier : Éducation et race

Présentation, par Élodie Malanda, Vanina Mozziconacci, Pauline Vermeren

L’institution universitaire et le racisme institutionnel, par Magali Bessone

Que signifie affirmer qu’une université, en tant qu’institution, est, ou non, raciste ? Avec quelle conception du racisme peut-on opérer pour déterminer si les valeurs et les relations de pouvoir examinées, évaluées, transmises, défendues par l’université promeuvent une plus grande inclusivité des acteur·rice·s « sans distinction de race », ou non ? Cette question conduit à s’interroger sur la pertinence et sur le sens de la notion de racisme institutionnel lorsque l’expression est appliquée à l’institution universitaire. L’article défend une conception du racisme institutionnel qui dépasse la dichotomie entre racisme individuel et racisme systémique en insistant sur une conception dynamique et relationnelle de l’institution universitaire. Grâce aux outils de la phénoménologie critique, le racisme institutionnel à l’université est redéfini comme processus d’institutionnalisation d’habitudes ou de régularités qui produisent ou reproduisent des inégalités raciales tout en étant constituées d’expériences inaperçues.

Éducation, société et race en France : une perspective historique et épistémologique sur la controverse autour du racisme d’État, par Zacharias Zoubir

Dans le cadre éducatif où aussi bien les opposant·e·s à ce qu’ils appellent un « racisme d’État » que l’État lui-même invoquent le racisme comme cible de leur lutte, comment comprendre l’absence d’accord quant à la nature de celui-ci ? En quoi, dans la controverse autour du racisme d’État, le concept de racisme est-il discordant, c’est-à-dire mobilisé de manière antagonique ? Afin d’examiner cette conflictualité conceptuelle autour du racisme dans l’éducation, cet article interroge d’abord l’enjeu de la controverse autour du racisme d’État de la fin de l’année 2017. Arguant que cet enjeu à la fois diagnostique et stratégique s’inscrit dans des grammaires politiques divergentes héritées du XXe siècle, l’article propose de comprendre la discorde conceptuelle comme une discorde plus fondamentalement explicative. Ceci conduit, enfin, à une réflexion sur la manière dont une démarche philosophique pourrait se positionner dans une telle controverse.

Éduquer contre le racisme sans dire la race d’une pédagogie colorblind à une pédagogie antiraciste critique, par Francine Nyambek-Mebenga

Partant des controverses sociales et scientifiques sur l’antiracisme et ses reconfigurations, l’article examine les enjeux d’une pédagogie antiraciste renouvelée par les apports de l’éducation antiraciste et des pédagogies critiques. En nous appuyant sur l’enseignement de l’esclavage et des traites négrières, nous montrons la prédominance d’une vision antiraciste déracialisée, où les rapports de pouvoir sont invisibilisés ou dilués par une pédagogie colorblind qui, au mieux, se limite à déconstruire un a priori raciste de l’esclavage. Considérant l’usage récurrent par les élèves des catégories ethno-raciales comme un matériau pédagogique pertinent pour développer une pédagogie antiraciste critique, nous tentons d’en esquisser quelques axes en privilégiant une approche systémique et intersectionnelle du racisme, en prise avec leurs expériences sociales et scolaires.

Représenter la diversité phénotypique dans les albums de fiction pour la jeunesse : pour quelles approches d’une éducation antidiscriminatoire ?, par Nathalie Thiery

En France, le manque de diversité ethno-raciale dans les albums de fiction pour la jeunesse a souvent été démontré, alors qu’il existe des enjeux forts à offrir à tou·te·s les enfants des représentations plus proches des situations qu’ils vivent, à les sensibiliser aux inégalités sociales ainsi qu’à proposer des supports d’identification positifs aux enfants racisé·e·s. La production récente reflète-t-elle ces préoccupations ? À partir d’une sélection resserrée d’albums publiés entre 2015 et 2021 comportant des personnages au phénotype foncé, cette étude analyse par quels procédés littéraires et esthétiques des auteur·rice·s et des illustrateur·rice·s s’attachent à renouveler les représentations, plus respectueuses des identités plurielles et visant à lutter contre les préjugés. Une intention d’inclusion plus grande se manifeste, notamment à travers la banalisation de la diversité phénotypique, la déconstruction des stéréotypes de race mais aussi de genre et de classe, ou la mise en avant d’un pouvoir d’agir face aux rapports de domination. Bien que circonscrites, ces évolutions résonnent avec les principes des pédagogies critiques discutés dans plusieurs articles de ce dossier.

Islam, musulmans et monde arabo-musulman dans les manuels scolaires d’histoire (1948-2008) : une altérité réifiée et stéréotypée ?, par Sonia Mejri

Reflet des représentations de l’histoire de l’“Autre” et des relations avec celui-ci, le manuel scolaire est surtout le miroir de la société dans laquelle il a été conçu. Il dévoile les savoirs disponibles, mais également les stéréotypes d’une société. Cet article propose une analyse des textes et des illustrations de manuels d’histoire qui permet d’examiner quelles conceptions et quelles images de l’Islam et des Arabes sont véhiculées et transmises aux élèves. En analysant les thèmes évoqués ou omis par les manuels et en montrant, à travers quelques exemples choisis, la façon dont chacun est présenté, cet article révèle la présence et la persistance de stéréotypes.

Nommer la race : une pédagogie du conflit au lycée, par Manel Ben Boubake & Tal Dor

Études

Le savoir-danser d’Isadora Duncan, à l’épreuve du genre, par Isabelle Namèche

Isadora Duncan, danseuse du début du XXe siècle, réussit à modéliser son idée de l’art chorégraphique. Engagée dans un projet idéal d’un savoir-danser élaboré en famille, l’artiste pose en effet les jalons esthétiques et culturels de sa modalité d’être au monde, fruit d’un vécu expérientiel duquel se dégage la valeur de la singularité. En duo avec sa sœur Elizabeth, elles assurent la transmission opérante de ce savoir-danser par le biais de deux modalités pédagogiques contradictoires. L’ambivalence de ce fonctionnement, néanmoins, met en lumière la logique qui soutient le sens émancipatoire donné à l’intention esthétique de ce projet réservé à ses initié·e·s.

Marx et l’éducation morale : une philosophie humaniste et scientifique, par Jian Ding & Jing Zhao

Aujourd’hui encore, le débat portant sur l’immoralisme de Marx reste vif. Nous montrerons que loin d’être immoralistes, Marx et Engels ont bien plutôt développé une nouvelle vision de la morale en s’appuyant sur le matérialisme historique. Selon eux, la morale provient des rapports économiques qu’entretiennent les hommes entre eux-mêmes au sein de la société ; de ce point de vue, on ne peut pas considérer la morale sans tenir compte de l’existence humaine. Ce faisant, la morale est associée à la réalité de l’homme et à la société où il vit. L’éducation morale, pouvant contribuer à la transformation d’une conscience active au sein d’une société, doit donc mettre l’homme au centre de toutes ses préoccupations en soulignant de plus le rôle de la formation de l’esprit scientifique dans la société. Ainsi, l’éducation morale marxiste surmonte l’obscurantisme et les limitations étroites des intérêts de classe, se démarquant nettement de l’ancienne éducation morale. Dans ce sens, nous soutiendrons la thèse que Marx et Engels présentent une philosophie de l’éducation humaniste et scientifique.

Civilisation et barbarie : Sarmiento et l’aventure démocratique en Argentine, par Juan José Martínez Olguín

Cet article analyse la pensée de l’écrivain, éducateur, journaliste et intellectuel argentin Domingo Faustino Sarmiento autour de ce que l’on peut appeler, en suivant l’œuvre de Claude Lefort, l’aventure démocratique en Argentine. Pour cela on propose, à partir de la réflexion sarmientine sur la Revolución de Mayo et le processus d’indépendance dans ce pays, de déconstruire la mécompréhension de sa célèbre formule « civilisation et barbarie ». Enfin, pour revivifier l’héritage de l’auteur argentin, on explicite sa pensée sur la question éducative et surtout sur la tâche la plus importante de celle-ci : la transmission de l’esprit démocratique.

Comptes rendus